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culbute. Je nourris l’espoir de me faire pendantes par-dessus bord et je les regarde eux. Nul ne le saura. Alors, autant considérer
propulser suffisamment haut pour pouvoir faire. Ils viennent se placer face à moi immo- que, comme la vie elle-même, c’était vrai-
agripper au passage un hauban, une filière ou biles et ils me regardent. Leur regard est très ment un jeu.
le liston. émouvant, car je sens très bien qu’ils veulent Je leur fais une dernière caresse et je
Et, Dieu soit loué, au cours de la dixième communiquer et je crois qu’ils doivent sentir m’éloigne d’eux. J’arrête de nager, j’écarte
ou onzième tentative, un miracle se produit. dans mon regard toute la reconnaissance et les jambes et j’attends. Ils s’approchent tous
Je suis projeté avec assez de vigueur pour être l’affection que je voudrais leur témoigner. les deux. Le mâle, lentement, avec douceur,
en mesure d’accrocher le liston auquel je me Cet échange est tellement bouleversant que je vient s’installer sous moi et brusquement
maintiens avec toute l’énergie dont je dispose n’y résiste pas. Je ne fais plus attention à mes d’une poussée fantastique me projette dans
encore. Mes doigts sont écorchés et brûlés. mains ensanglantées et douloureuses. Je mets l’air et je retombe à nouveau dans un
Du sang asperge mon visage, mais je tiens mon échelle à l’eau. J’ajoute un cordage de éclaboussement d’écume qui doit certaine-
bon et j’arrive à placer une jambe sur le pont, sécurité et je me jette à l’eau pour retrouver ment les ravir. C’est notre adieu!
puis à y balancer mon corps et je m’effondre. ces deux charmants animaux. Ils viennent
Pas pour longtemps, car mes deux près de moi et je peux les toucher, les cares-
À propos de l’auteur
compagnons, mes amis, mes sauveurs font ser. Ils sont quasiment immobiles. Le ciel est
un tapage extraordinaire autour du bateau. très bleu, la mer très belle. Le moment est
Robert Krouch a navigué toute sa vie,
Ils bondissent hors de l’eau, passent le long merveilleux. Nous sommes trois êtres vivants
souvent en solitaire et a mis sur pied une
de la coque à toute vitesse, virevoltent, souf- partageant le même amour de vivre et
école de voile renommée aux États-Unis.
flent bruyamment et poussent des cris. Je n’ai d’aimer.
En mai 2007, à l’âge de 85 ans, il a
jamais vu un spectacle aussi extraordinaire Chacun doit bien reprendre le cours de
entrepris, en compagnie de son épouse
que ces deux mammifères me témoignant leur sa destinée. Je dois quitter mes deux sauveurs
Victoria Williams, un tour du monde à
satisfaction ou leur plaisir et sans doute leur sachant que je ne les reverrai sans doute
bord de Vagabond. Il prépare la publi-
joie de m’avoir ramené à la vie sur mon jamais, mais je voudrais que la séparation soit
cation d’un livre dans lequel il relatera
bateau. gaie et joyeuse pour tous. Ils m’ont sauvé la
ses aventures de navigateur.
Je viens m’asseoir sur le pont les jambes vie, mais sans doute était-ce aussi un jeu pour

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